À Image/Imatge et au Bel Ordinaire

Dès l’entrée de l’exposition « Grand’télé Grand écran » de Soraya Rhafir programmée du 8 mars au 18 mai 2019 par Image/imatge à Orthez, la totalité de l’exposition saute au yeux. Même si les pièces se laissent découvrir une par une, une disposition d’ensemble s’impose au regard sous la forme d’un amas de figures tirées, semble-t-il, d’un entrepôt d’anciens décors de fête foraine ou de cinéma. Pour qui se souvient que la salle d’exposition est justement située dans un ancien cinéma de la ville, cette apparition résonne tout particulièrement. L’installation semble réactiver des productions audio-visuelles ou des fragments de films oubliés et remis en jeu par l’intermédiaire d’images de faible définition imprimées, découpées et contrecollées sur des supports rigides installés dans l’espace. Le spectateur, directement confronté à ces silhouettes et circulant entre elles, est impliqué dans un dispositif narratif qu’il invente ou active à chaque pas. Mais c’est surtout à une réflexion sur le statut de l’image diffusée à grande échelle qu’il est convié car la qualité médiocre des tirages et l’usage des supports de carton en font plutôt les objets de rebut d’une période révolue de l’industrie du divertissement. L’envers du décor n’existe pas. Ces images « de peu » n’ont aucune épaisseur et il n’y a rien à voir derrière. Lorsqu’elles s’assemblent pour mieux lutter ensemble contre l’oubli, elles exhibent leur évidente nature de leurre.

Il se trouve que non loin de là et peu près aux mêmes dates, l’exposition Sans foi ni foie programmée au Bel Ordinaire, propose aussi une mise à distance de l’image à l’aide d’autres figures en carton, celles de Sylvie Réno. Il arrive que certaines coïncidences soient plus productives que des rapprochements voulus et c’est le cas pour ces deux expositions voisines dont les visites s’éclairent l’une l’autre. Deux démarches différentes, certes, mais qui se complètent dans l’expérimentation de la représentation figurée et de sa vraie nature. Dans les deux cas, la pauvreté du matériau déjoue la séduction facile par la noblesse du matériau de la sculpture et oblige le « regardeur » à chercher ailleurs la légitimité des volumes en carton exposés conçus. Dans la production artistique contemporaine la transgression des critères artistiques et le refus de l’illusionnisme sont des valeurs rivales du beau, sans l’exclure. C’est le cas pour les œuvres de Sylvie Réno qui se présentent comme des répliques à l’échelle d’objets réels tout en révélant, par le matériau utilisé, le caractère trompeur de la représentation. Ici on ne peut rien trancher avec les machines à viande en carton exposées, pas plus que l’on ne peut dormir dans le mot « lit ». L’art ainsi que l’usage de la langue usent d’abstractions distinctes de leur référent qui nous aident à prendre du recul avec la toute puissance du réel. Ils nous invitent depuis toujours à acquérir ou conserver cette lucidité pour mieux exercer notre faculté de juger et mieux comprendre notre façon d’être au monde.

Apprenons à reconnaître les images fantômes ou bien décidons de ne pas les prendre au sérieux et même d’en rire comme nous y incitent les deux artistes.

Monique Larrouture Poueyto