“Campana” spectacle de cirque métaphysique…

Chaque fois que le cercle se forme autour d’une piste de cirque, les spectateurs inclus dans ce mouvement sentent qu’ils délimitent à travers cette figure archaïque – celle des danses primitives ou celle des jeux d’enfants – un intervalle intime propice à l’attention et distinct de l’environnement chaotique. Mais au cours du spectacle Campana, donné par la troupe du cirque Trotolla, cet espace à atteint une véritable dimension cosmique, due à la tension créée sous le chapiteau entre le bas et le haut, allant des tréfonds de la terre à la voute céleste.

Qu’est-ce qu’il y a en haut ? demande le clown Bonaventure Gacon émergeant du sous-sol, perché sur une échelle, avant de déclarer qu’au-dessous se déchaînent des tempêtes terribles dont on perçoit le vacarme. Là-dessous, ajoute t-il, des hommes et des femmes vivent des catastrophes mais aussi des histoires d’amour et de séparation. Il remonte des enfers, bientôt suivi de « son Euridice », aussi lunaire et fluette qu’il semble pesant et arrogant. Leurs natures contraires s’assemblent dans des numéros de voltige qui contrarient eux-mêmes les lois de la pesanteur et se jouent du danger en provoquant le rire par des maladresses feintes. Soudain, dans cet espace relativement réduit mais extensible à l’infini, on peut entendre la furie d’une troupe de chevaux au galop. On peut aussi voir grandir la figure gonflable d’un éléphant qui vient occuper tout l’espace de la piste avant de se dresser sur ces pattes arrières et de disparaître à nouveau sous une trappe du plancher. Ce dessous de piste, lieu de tous les possibles, pourrait être pris comme une métaphore de l’inconscient, un trou noir dans lequel le clown – tout droit sorti du théâtre de Beckett – se décharge de tout le contenu de sa brouette et d’où peuvent surgir des êtres improbables tels que des pantins articulés ou une acrobate en tenue de ouistiti bleu. Ces allers et venues de la Terre à la Lune sont accomplis à partir de tout un réseau de cordes tendues, d’échelles dressées et d’accessoires peu nombreux et très sobres qui mettent en relation les deux pôles en attirant alternativement les acrobates. Deux musiciens accompagnent de leurs interventions mi-classiques mi-foutraques, l’organisation de cet espace à la fois intime et démesuré. Celui-ci reste pénétrable de tous les côtés y compris par des textes poétiques proférés bruyamment ou des échanges souvent absurdes qui peuvent prendre soudain une tonalité politique. L’atmosphère est en permanence traversée par un souffle quasi métaphysique transmis au public sans la moindre emphase. Et l’émotion ressentie dépasse de loin le simple divertissement lorsqu’une lourde cloche en bronze, hissée tout en haut du chapiteau, se met à sonner une fête carillonnée hors du temps. En sortant L. me sentant très émue, m’a confié qu’elle avait vu le spectacle quatre fois et qu’elle avait pleuré à chaque fois.

Aller au cirque, c’est se préparer à un spectacle qu’adultes et enfants trouvent facile à partager. Un public très mélangé se pressait donc à l’entrée du chapiteau dressé sur l’emplacement de la fête foraine à Pau du 8 au 13 juin et applaudissait debout à la fin du spectacle, enchanté au sens premier du terme.

Monique Larrouture-Poueyto