Art de faire pour déjouer les idées reçues
Depuis quinze ans maintenant, Christophe Clottes conduit, à bas bruit, un travail exigeant et rigoureux mais toujours accessible. On peut en saisir la diversité dans le catalogue des œuvres présentées qui vont des structures épurées et minimales à des installations de vivarium habités par des animaux, en passant par des images affichées dans la rue, sur des panneaux quatre par trois. Cependant, la cohérence de l’ensemble ne fait pas de doute et il est possible d’en dégager la singularité. Une brève notice biographique trouvée sur internet pourrait nous mettre sur la voie : « Christophe Clottes vit et travaille à Pau », ce choix montre que son travail s’inscrit volontairement dans un territoire de nature et un paysage précis. Par ailleurs, la rubrique « formation » de la notice qui mentionne « un BTS de conception de produits industriels suivi d’un DNSEP aux Beaux-Arts de Toulouse », pourrait expliquer une « manière de faire » qui lui est propre, relevant à la fois de celles de l’ingénieur, du bricoleur et de l’artiste. C’est souvent en ingénieur qu’il définit le cadre conceptuel de sa production, mais jamais comme un superviseur qui expliquerait le monde par sa seule intelligence technicienne. En effet, il n’en délègue jamais la fabrication pour ne pas se priver des variations possibles et des surprises que réserve le temps aléatoire de la réalisation. Enfin, sa maturité d’artiste contemporain l’amène à approfondir la portée esthétique de ses créations et à penser le rapport de celles-ci au spectateur-regardeur avec qui il en partage l’usage. C’est ainsi qu’il va concevoir les machines à regarder que sont les serres de « Phasmes » ou « cuisine de campagne », véritables habitacles propices à l’observation soutenue.
La manière de penser de Christophe Clottes s’investit toujours dans une manière d’agir et de faire, en construisant des dispositifs de réflexion sensibles. Il peut également utiliser les outils de l’expérimentation scientifique, mais toujours à des fins proprement artistiques. Ainsi, à une production rationalisée et expansionniste pour reprendre les mots de Michel de Certeau dans « L’invention du quotidien », se substitue une « fabrication » de structures-sculptures improbables qui permettent, grâce à leur malléabilité, de déplacer les points de vue et de renouveler le regard du spectateur, lequel devient complice. On retrouve à toutes les étapes de cette démarche plastique, l’intention de délier le spectateur des facilités de penser qui l’entravent et l’empêchent de voir la complexité du monde. C’est en tant que sculpteur qu’il nous place devant des structures monumentales en mouvement ou en cours de modifications pour nous faire éprouver du regard la richesse de combinaisons que génère leur mobilité. Mais le ton qu’il emploie peut se teinter d’humour et parfois même de burlesque, comme lorsque, dans une vidéo, il malmène une forme de châssis en le faisant danser sur le rythme que lui impose une machine soufflante. Ce faisant, il donne une réplique inattendue mais tout à fait pertinente à une autre sculpture faite de quatre cadres assemblés en une forme monumentale, mais dont la structure peut toutefois subir des variations sensibles. Différentes formes de grilles présentes dans plusieurs installations sont là pour montrer que le vivant déborde toujours du cadre qu’on lui fixe. C’est le cas des cadres de ruches montées comme des toiles, mais aussi des serres plantées en pleine nature, et des parcelles de terrain clôturé dans lesquelles il introduit des insectes. Il lui arrive donc de convoquer avec beaucoup de naturel des savoir-faire qui ne sont pas habituellement associés aux pratiques artistiques : ceux de l’entomologiste, du minéralogiste, du botaniste, de l’éthologiste, du jardinier même. Il lui servent à mettre en place des protocoles intéressants à construire pour mieux être déjoués, il fait tourner les savoirs, sans en fixer ni fétichiser aucun en leur accordant une place indirecte, et c’est cette manipulation qui devient précieuse.
Par ailleurs le cadre d’action de la présentation est une préoccupation constante pour cet artiste et les objets, où les installations qu’il propose sont toujours « situées » que ce soit dans l’espace spécifique d’une galerie, dans des espaces habitables investis ou encore laissés en friche. L’espace de ces interventions plastiques est souvent transformé en un support d’investigation écologique, critique, économique même, par les dispositifs plastiques qui y sont installés. Mais aucun de ces points de vue ne peut les épuiser, et empêcher l’installation signée par l’artiste de rester aussi un simple objet de contemplation.
A ce jour, il choisit de s’intéresser aux galets que l’on peut trouver dans le gave et à ce que leur apparent mutisme cache. Cette fois, c’est le travail du temps qui est piégé dans les empreintes sur papier qu’il fait du galet ouvert en deux ; et la minéralogie n’aurait pas pu à elle seule en épuiser le mystère.
Monique Larrouture Poueyto