Des preuves de l’existence des licornes
Il faudrait pouvoir parler gravement des choses légères ou légèrement des choses graves, ce qui parfois revient au même. Cela devient plus facile en présence des objets que Quentin Armand nous met sous le nez.
Il nous vient alors l’envie de faire un bout de chemin en sa compagnie pour qu’il nous montre encore des parapluies photophores, des preuves de l’existence des licornes, les traces que font les tasses de café blanc sur les nappes. En découvrant ces objets, on devient autre chose qu’un contemplateur béat ou qu’un « regardeur qui fait lui-même les œuvres ». On se sent l’occasionnel compagnon de route d’un artiste avec qui on peut s’attarder pour parler de choses et d’autres : de la vie, de l’émerveillement, de l’amour, de la tristesse ou de l’envie de disparaître.
Il nous aide, chemin faisant, à saisir l’occasion, à savoir remarquer une flaque d’eau pour y faire voguer une caravelle, à voir des papillons en plastique sur les étagères d’un magasin chinois et à transformer leur envol en fantôme de girafe. Tout est possible à qui souhaite vraiment quitter la pesanteur du monde pour un instant, même s’il est fugitif.
D’autres fois encore, Quentin Armand nous place devant des objets qui ont été discrètement piégés et sont passés par l’atelier pour y subir un traitement artistique sous forme d’hybridation légère, avant d’être remis dans leur environnement naturel, ou pas, sous l’apparence désinvolte d’un « ready made » en quête d’un jugement esthétique. Ils se mettent alors à attendre patiemment le visiteur que nous sommes et à observer notre réaction, tout en restant muets. Si l’on n’y prenait pas garde on pourrait tout aussi bien passer à côté sans rien remarquer et l’auteur, s’il est présent, y verrait à peine une faute de goût. Qu’importe quand on est en bonne compagnie….
En cheminant on se rend compte que tout cela, en fait, est très savant et que Quentin Amand est un artiste qui n’ignore rien de l’histoire de l’art qu’il exerce et des questions d’esthétique agitées depuis longtemps dans les cercles d’experts et ailleurs. Cependant il pense qu’il vaut mieux que toute cette science reste invisible le plus longtemps possible. En tous cas, il ne veut pas lui devoir la qualité de la rencontre avec les amateurs, surtout si elle est l’occasion d’une petite causette.
Il a toujours un mot à dire, même lorsqu’il n’est pas là et qu’on se retrouve seul, comme c’est le cas dans un lieu d’exposition. Ce mot à dire, on le lit alors sur chaque cartel et il semble que le sourire du chat du Cheshire vient se superposer aux lettres inscrites. C’est alors que les mots et le sourire requalifient la pièce présentée, et nous amène à un état de connivence amusée qui nous fait sortir des limites habituelles de la compréhension. On comprend alors que chacun des objets demande un sourire de complicité pour sortir de son état végétatif, et pour que puisse se produire le surprenant vis-à-vis avec l’étrangeté du monde.
Monique Larrouture Poueyto