Transformer

L’ensemble de ce travail est placé sous le signe de la lenteur. Pauline Le Duc sait prendre le temps d’accomplir chacun de ses gestes en tentant de faire rimer science avec patience, comme si elle se méfiait des tâches et des conclusions hâtives. Elle semble se donner le temps de la réflexion pour composer des objets ou des assemblages qui ne prennent une forme définitive qu’après le temps de maturation nécessaire. Chaque action suppose une durée : à celle de la collecte s’ajoute celle de l’assemblage, puis celle de l’installation. Chaque chose en son temps.

La collecte et l’accumulation sont présentes dans sa démarche et son travail depuis un certain temps, mais c’est dans un jardin public, le jardin Massey de Tarbes, tout près de l’école où elle a fait ses études, que, détournant l’injonction de ne pas cueillir de fleurs, elle commence sa première collection de plumes. Et c’est probablement dans cet endroit, où l’on trouve une très grande variété de végétaux, y compris les plus exotiques, ainsi que de nombreux oiseaux en liberté, que se nourrira l’intuition de l’hybridation possible du règne végétal et animal et le désir d’un « ailleurs ». On verra que lorsque elle associe les éléments végétaux et les plumes dans ses installations, elle le fait avec la ferme intention d’entretenir la confusion des genres et de créer du nouveau. Mais c’est toujours avec la même lenteur tranquille qu’elle ajoute un geste après l’autre pour réunir, dans des assemblages savants, la trame végétale et les rangées de plumes qui finissent par produire des parures somptueuses ou des formes gisantes sur le sol, ou installées dans l’espace.

Dans ces petits cabinets de curiosité qu’elle nous met sous les yeux, elle se plaît à brouiller les classifications géographiques, botaniques et zoologiques. Elle nous place face à face avec des traces de créatures étranges, mi-animales mi-végétales, venues d’on ne sait où.

Et on se demande si ce manteau de plumes suspendu est la dépouille d’un animal inconnu ou bien une parure de chaman ou encore le manteau de Peau d’Âne qui cache sous la toile rugueuse la fameuse robe de lune. De toute manière, il est question d’une transformation possible ou désirée. Les objets sont saisis dans leur (s) devenir (s), et les figures tracent des lignes de fuite qui sont des possibles et non des échappatoires. Elles nous montrent qu’il est possible de devenir autre ? Mais autre que quoi ? En tous cas autre que le type humain ou animal majoritaire qui est imposé comme modèle.

De l’association d’une fourrure animale associée à une branche de fruit de palmier, naît un être dont la présence vient bousculer nos certitudes rassurantes.

Dans ce petit musée de sciences naturelles, le morbide est écarté au profit de la cérémonie funèbre. On pourrait même y voir le geste rituel d’Antigone qui tient à enterrer dignement un frère disparu.

Quelques pièces, les gisantes et les formes qui pendent, par exemple, peuvent évoquer une fin tragique mais échappent cependant à la complaisance morbide.

Elles questionnent le vivant, la mort ou la disparition mais surtout elles rappellent la fragilité du vivant.

C’est toujours la même pratique de la lenteur propice à la découverte qui préside au travail de dessin. Elle est nécessaire pour respecter les temps de séchage entre les couches de coulure mais aussi pour consolider la trame résille dessinée au crayon ou à l’encre dans lesquelles elles sont enchâssées.

Mais on retrouve aussi l’hybridation à l’œuvre dans ces dessins de formes de crâne, de masses de chair, de placenta. Cette fois, elle porte sur les différents états de matière : l’os devient chair ou inversement et le solide se liquéfie ou se désagrège pour se transformer. C’est toujours la gestation, le processus de transformation qui est saisi à travers les deux niveaux de lecture du dessin. Vu de loin une forme pleine, de près une instabilité contenue. Ces dessins construisent une intimité avec la matière vivante en train de se transformer. Lentement certes, comme dans ce dessin ou trois arbres fusionnent pour former un même cœur pour une entité nouvelle. Une gestation ? Un devenir autre de plus ?

Monique Larrouture Poueyto