Catherine Melin
Catherine Melin a prolongé son exposition « Bruissement du dehors «, présentée du 17 janvier au 24 mars 2018, par une résidence dans l’atelier de sérigraphie du BO (février 2018). On sait que pour elle, l’exposition est un dispositif dynamique de représentation graphique qu’elle considère comme provisoire. De son propre aveu, elle est souvent tentée, dès le lendemain du vernissage, d’y apporter des modifications ou de nouveaux ajustements pour ne pas laisser se figer, dans des formes trop arrêtées, ce qu’elle a produit de visible dans l’espace. En effet son ambition ne s’est jamais limitée à la seule volonté de partager son regard sur le monde, nourri par ses nombreux voyages en Chine ou ailleurs ; elle a aussi le souci de mettre en commun avec les visiteurs, une réflexion contemporaine sur la question de la représentation et sur la nature instable des images. Cette fois, en marge de l’exposition, la pratique de la sérigraphie va lui donner l’occasion de matérialiser autrement cette recherche constante, en expérimentant la distance avec la production de l’image que procure la technique de la sérigraphie et la collaboration avec ceux qui font vivre l’atelier. C’est ainsi qu’elle investit l’espace de travail, tantôt assise devant l’écran de son ordinateur, gardien de sa collection de repérages photographiques, tantôt debout devant les écrans de sérigraphie pour expérimenter avec d’autres la chimie des préparations ou encore penchée au dessus des tirages pour souffler sur l’émulsion transparente la poudre de graphite qui va révéler un dessin d’une couleur sourde, toute en niveaux de gris. Entre le cliché source, la matrice imprimée de l’écran de sérigraphie et les tirages sur papier, se creuse par étapes une distance qui donne à l’image finale une nouvelle forme d’existence ; les différentes étapes génèrent un délai qui modifie profondément sa manière d’apparaître. On pourra voir ces images à la galerie Gounod à Paris prochainement. Catherine Melin y trouve l’occasion d’aller encore plus loin dans sa quête de la bonne distance avec leur création que revendiquent les artistes contemporains soucieux de se débarrasser à la fois des conventions de la figuration académique et de l’injonction moderne à l’expression de la vie intérieure de l’auteur. Au corps à corps narcissique avec le dessin, Catherine Melin semble préférer la présence au monde et le travail de l’art qui fait exister entre l’invisible et le réel ces intermédiaires que sont les images, non pas celles qu’il faut admirer mais celles qui montrent ce qui mérite d’être admiré. Dans le protocole qu’elle a mis en place, celles-ci passent par une phase d’invisibilité car le tirage sur papier n’est révélé que lorsque le graphite pulvérisé à sa surface vient donner corps au dessin ; le motif est passé par l’invisible pour gagner une nouvelle manière de se donner à voir. Cette pratique semble renouer avec une très ancienne tradition : celles des images acheiropoïetes qui s’impriment sans l’intermédiaire de l’homme sur un support, telles que le Mandylion, le voile de sainte Véronique ou le saint suaire de Turin. Elles étaient considérées comme offertes par Dieu et ce caractère mystérieux leur conférait des vertus de talisman protecteur. Ici se sont plutôt les images qui s’offrent d’elles-même à la visibilité et à un espace mental de libre circulation de l’imaginaire. Si elles sont belles, leur beauté ne vient pas de ce qu’elles représentent ni de l’expressivité de la vie intérieure de l’artiste qui les a tracées, elle procède de l’énigme de la représentation intacte depuis les tout premiers dessins inscrits sur les parois des cavernes. Quelque chose est là, à la place d’autre chose qui n’y est plus, capable de le représenter en son absence et l’excitation d’avoir à faire à un moment particulier tient lieu d’émotion. En accédant à la visibilité, les images produites dans cet atelier semblent douées d’une volonté propre qui déjoue les stratégies de maîtrise de l’artiste. Elles restent des images discrètes qui ne sont pas venues au jour pour subjuguer le spectateur, des provocations à l’intelligence qui savent garder leurs distances avec l’illusion et se tiennent l’écart de la virtuosité de la figuration.
L’une des grandes ruptures de l’art contemporain a été sa défiance par rapport à la représentation figurée du réel qui passe par la prouesse des techniques artistiques. En cela les images qui sortiront de l’atelier à l’issue de la résidence appartiennent bien à l’univers de la création artistique de notre temps plus soucieuse d’enclencher des actions que de proposer des supports à la seule crédulité contemplative.
Monique Larrouture Poueyto