Pour cette nouvelle résidence de production au Bel Ordinaire, j’avance un projet de sculpture à vivre, espace où se tenir et se rassembler.
Ce projet suit les recherches plus larges que je mène autour des espaces de paroles investis ou produits par les groupes. Je m’inspire des lavoirs communaux et de leurs usages anciens, véritables lieux de société fréquentés par les femmes, espaces conjoints de travail et de parole. J’ai eu envie de garder parallèlement un œil sur ce qu’il s’y passe aujourd’hui.
Les usages et usagères ont bien sûr changé, mais ces lieux continuent d’abriter une certaine « parole ». Ils sont encore fréquentés par une population jeune et/ou marginalisée et demeurent des espaces où il est possible de se retrouver, d’échanger. Protégés précairement des regards, d’une certaine surveillance ou des intempéries : « tant qu’il y a un toit »… dit Pamir, un des élèves charpentiers du lycée professionnel de Gelos avec lesquels j’ai choisi de réfléchir et de fabriquer ce projet.
Avec les élèves, on échange, on dessine, on écrit, on apprend. Leurs témoignages personnels de ces espaces ; leurs expériences d’ennui, de fêtes improvisées, de retrouvailles ou de « squats » sous la complicité de ces charpentes nourrissent le projet, autant que leurs savoir-faire, leurs logiques techniques, leurs coups de main.
Après des temps de travail collectif et préparatoires les fois passées, ces semaines de résidence sont dédiées au travail d’atelier, ensemble. Il a fallu aller chercher du bois ici et là, du bois qui a vécu. Des charpentes démontées ou tombées par le vent, des étables vieilles de cent ans, probablement construite par l’arrière-grand-père de celui qui nous aide, là, dans le champ à charger une ferme partiellement désossée, du bout de la griffe de son tracteur.
J’apprends des gestes simples et magiques : enlever les vieux clous rouillés du bois pour que les scies électriques du lycée n’explosent pas. À cause d’un si petit clou… Doucement, sans forcer, il faut pencher le marteau à gauche puis à droite, s’appuyer sur les bords. Quand il sort, le clou est tout ondulé du chemin qu’il a pris pour sortir. Je garde ces petits restes précieusement. Je sais qu’ils trouveront leurs places quelque part.
Au-delà des préoccupations écologiques, le réemploi de matières est pour moi une question de charge. J’ai envie d’utiliser des choses qui ont servi, parce qu’elles me semblent déjà infusées d’histoires. Je me dis que ces bouts de chêne durs comme la pierre « en ont vu d’autres ».
Si, comme les murs, les charpentes ont des oreilles, je me demande bien ce qu’elles auront à nous raconter et ce qu’on pourra leur dire.
On pourra s’y abriter à partir de la mi-septembre prochain, dans la petite galerie du Bel Ordinaire.