Commissariat Émilie Flory
En prolongement des expositions, les Extras du Bel Ordinaire offrent un point de vue augmenté sur le travail d’un·e artiste, donnant à voir et à comprendre ses coulisses, son contexte, des entretiens ou des vidéos
Cet extra a été produit dans le cadre de Un point rouge dans la nuit, du 14 décembre au 18 mars 2023
Commissariat Émilie Flory
Recueillis par Melina Nuñez en nov. 2022, les propos d'Émilie Flory, qui ponctuent la page ci-dessous, sont extraits d'un entretien que vous pouvez retrouver en intégralité dans la feuille de salle
Dans sa pratique curatoriale, Émilie Flory voyage beaucoup (San Francisco, Bruxelles, Bordeaux, Paris, Madrid, Toulouse, Limoges, Tolède, Genève au cours de ces 8 dernières années). Les lieux comptent, et surtout les rencontres qu'elle va y faire : les gens, amis, artistes, partenaires...
Elle développe une réflexion sur le régime contemporain des images à travers, notamment, les multiples formes de réappropriations que déploient les artistes aujourd’hui.
Dans ses expositions collectives récentes, elle pose la question des racines et des déplacements migratoires, des territoires de conflits, du travail, du cinéma et des notions de décor et de fiction ou encore de la culture underground et des engagements.
La rencontre est importante dans ce que nous nous apportons les uns les autres, dans la richesse de pensée, de réflexion, de nourriture intellectuelle mutuelle.
Irma, Sonia, Nicolás et Carlos sont des artistes que je connais depuis 2017. Cinq ans que nous nous voyons régulièrement, que l’on s’informe de nos projets, que l’on a plaisir à débattre, à partager nos pensées et projets régulièrement, à manger et boire ensemble aussi !
Avec d’autres artistes de l’exposition, les rencontres sont plus récentes, comme Anna — que j'ai rencontrée il y a 3 ans quand elle était encore étudiante à La Cambre ou Julie et Oriol, il y a un peu plus d’un an. Cela ne change rien à l’envie de travailler ensemble et de construire quelque chose.
Je ne conçois pas mon métier de commissaire et critique sans ces temps de rencontres et d'échanges, une fidélité dans les regards et la parole, une nécessité solide dans la relation intellectuelle, artistique, philosophique et émotionnelle. C’est une chose invisible pour les visiteurs, impalpable, pour autant notre relation est ce qui fait que l’exposition trouve sa cohérence et sa générosité, au-delà d’un ensemble d’œuvres les unes à côté des autres.
Pour moi une exposition crée une histoire, une promenade, une ambiance ou des réflexions à partir des œuvres mises en regard. Elles viennent en dialogue les unes avec les autres, c’est là aussi une rencontre qui vient produire autre chose.
(...) Si on visite une exposition monographique d’Irma, il est fort possible que le premier sentiment soit d’entrer dans son univers par la forme, l’abstraction, le constructivisme et le minimal. Pour l’exposition, le mettre en regard avec les œuvres de Sonia et de Belén apporte une fiction. Le travail d’Irma porte sur le monde occidental, sur l'utilisation de matériaux, c’est un regard sur la société. Il est clairement politique, mais ce n’est pas ce que l’on voit immédiatement, formellement. En revanche, l’associer aux œuvres clairement engagées de Nicolás, d’Anna, de Julie, pas si loin de celles de Carlos, beaucoup plus baroques et d’Oriol dans ce qu’elles disent « d’images manquantes » permet de révéler davantage l’engagement politique et sociétal de cette artiste. C’est tout l’intérêt pour un commissaire de créer la circonstance d’un autre récit, de révéler de nouvelles observations.
De la même manière, la confrontation entre les œuvres sobres de Nicolás sur les camps d’enfermement et les prisons franquistes et celles de Carlos qui débordent de couleurs, de musique populaire et de formes, très bavardes me plaît. Parce que cette entente est inattendue, deux chemins radicalement différents pour traiter des politiques répressives et autoritaires.
Les visiteurs sont aussi là pour faire leur exposition, leurs propres expériences. Chacun fera ce qu'il ou elle veut (lire et regarder précisément ou pas), ils peuvent donc passer à côté de mon propos et ce n’est pas grave tant qu’ils s’émeuvent, réagissent, s’amusent, s’interrogent, repartent avec des questions ou des envies, des colères ou des larmes.
Certaines œuvres de l’exposition vont venir en écho avec leur histoire, l'histoire de leurs grands-parents, avec un voyage, avec une émotion d’enfance, une poésie, un amour des mots, des formes. C'est aussi cela la richesse et la puissance de l’art.
Je ne suis pas là pour raconter une histoire précise, il y a plusieurs histoires qui sont entremêlées, chaque artiste avec son travail, son individualité ; les histoires avec la mise en dialogue, et enfin au-delà de la visite, chaque visiteur avec ce qu’il va en garder.