Ma résidence s'est déroulée en deux temps : la première partie en février dernier m'a permis de prendre le temps de me poser des questions de fond concernant la sobriété numérique et la volonté de détruire tout en créant… Ce temps de résidence m'a aussi permis d'imaginer plusieurs machines témoignant de l'oxymore qui me tient tant à cœur : "Détruire/Transmettre". J'ai alors documenté toutes ces recherches afin de retracer les errances, les doutes, les quelques succès et les nombreuses envies.
Je me suis donc astreint, dans ce premier temps, à explorer des processus de destruction ; la dégradation étant comme une première étape qui me permet la construction d'un projet plus global : celui de la transmission.

Les données numériques ne se dégradant pas, il m'est apparu intéressant de travailler à cela, dans le but, non de détruire pour détruire, mais bel et bien de tenter de représenter ce que serait un souvenir numérique. Il est vrai que notre mémoire est défaillante par nature, pourtant nous arrivons à emmagasiner beaucoup d'informations. Il me semble que ces failles sont la base de toute création. La création serait alors la recomposition de savoirs mal acquis ou transformés. J'ai ainsi pu expérimenter, par le code, la destruction du numérique par lui-même (DN2). Ainsi, j'ai dégradé des contenus par des processus de numérisation et j'ai réalisé de nombreux scripts transformant des images en glyphes, des textes en codes et ce jusqu'à disparition totale.

Pour la seconde partie de ma résidence, le travail s'oriente donc plutôt sur une réflexion autour de la mémoire numérique. Si le numérique n’a, quant à lui, pas de mémoire ou, disons, une mémoire "ultime", sans faille, n’y aurait-il pas de création possible ? Je me propose alors d'étudier la possibilité que le numérique possède une mémoire et qu'il est capable de fabriquer des souvenirs. Il est alors envisagé, pour le mois d'avril, de créer une base de données appelée Public Domain Data Base (PDDB) ; une des propositions formelles que je m'apprête à réaliser est la constitution d'une machine (appelé DN2 + R(a)) reproduisant le souvenir d'un film, d'un texte ou d'une image sur une tablette d'argile, comme pour revenir aux origines des supports de la connaissance.

Par la suite, je me propose de poursuivre ces recherches autour de l'idée de compostage numérique. Enfin, j'envisage de faire un "virus" informatique qui permettra d'activer sur n'importe quel ordinateur les processus de compostage numérique préalablement établis. Ce virus sera accessible à tous et pourra intervenir sur l'ensemble des ordinateurs ou sur des dossiers en particulier. À l'avenir, je pense réaliser d'autres installations sur ces sujets et   les orienter davantage sur le compostage numérique.

Après ma résidence, avril 2022:
Ces deux temps de résidence m'ont permis d'affiner mes idées et de réaliser un programme et une machine/outil imprimant des souvenirs numériques sur des tablettes d'argile. Mon passage au Bel Ordinaire, riche de rencontres fructueuses et d'expérimentations tant plastiques et graphiques que programmatiques, a apporté une nouvelle dynamique à un projet que j'avais depuis longtemps. Ce temps que je n'arrivais pas à prendre m'a finalement été offert dans des conditions de création et de construction idéales.

Ce moment est un nouvel élan, et j'aimerais désormais orienter mes recherches sur le compostage des données numériques. De nombreuses recherches actuelles se concentrent sur le stockage des données dans de l'ADN de synthèse, sur des disques de saphir promettant de stocker toujours plus de données dans des contenants toujours plus petits pour des temps presque infinis ou, tout du moins, dépassant notre échelle de temps. À contre-pied, je milite pour un droit à l'oubli, voire un devoir d'oubli. Dans un monde qui montre ses limites, l'accumulation ne peut plus être l'unique solution. Ainsi des tentatives autour du compostage de données numériques me semblent être l'opportunité, non pas de trouver une solution, mais de tenter d'apporter une ouverture.