EDGE, au seuil de l’image

“ Edge ” n.m (anglais) :

  • sens 1 : lisière, marge, bord, extrémité
  • sens 2 : avantage
    “ EDGE ” sigle (anglais) : Enhanced Data-rates for GSM Evolution. Type de qualité en temps réel de la connexion au réseau mobile, avant la 3G.
    « être en edge, capter en edge » : ne plus capter en haut débit
    “ To be on edge ”: être tendu·e, anxieux.

Comment rendre compte de la préciosité de nos capacités d’attention et d’imagination dans nos vies numériques aux flux saturés ?
Depuis 2016, je m’interroge sur le statut des images sur Instagram. Ce maelström visuel façonne, « l’air de rien », nos pensées dans un monde numérique. À l’heure de la 5G, peu de moments où ce flux ne soit interrompu : la limite ne dépend que de notre capacité d’assimilation et de notre temps absorbable par cette activité hypnotique.

Lorsqu’à la faveur d’une zone blanche, nous ne captons plus, le téléphone se met en "edge". Les images ne chargent pas mais se préparent en aperçu : floutées, amas de couleurs nuancées. À ce moment bref, ces non-images deviennent porteuses de possibles, de projections positives. Obligé·e·s d’attendre, enfin, nous regardons et imaginons. Ces images floues deviennent autant de potentielles richesses : elles nous apprennent le regard.

J’inventorie depuis 2016 des captures d’écrans des moments où je me suis retrouvée en « edge ». Sur le fil de l’attente, à la limite du lisible, ces captures sont autant d’archives de l’éphémère qui dessinent une collection d’espérances chromatiques. Ces ébauches d'images me semblent plus intéressantes que celles que nous allons voir - et oublier.
Images fugaces denses, images pérennes fades… Cette dualité de la valeur picturale dans la temporalité, l’image abstraite qui ouvre les possibles, sont l’objet de ma recherche. Pour l’incarner, le glissement du format numérique à la sérigraphie me semble un procédé intéressant, car l’estampe conserve son statut d’image à considérer. La production d’une image en sérigraphie partage avec l’image « en edge » sa part de traduction. Mais le temps long de réalisation qu’elle nécessite lui confère une présence sensible qui n’existe que dans la matérialité.

Que diront ces images imprimées de nos espaces numériques, de la qualité de notre attention, de nos capacités d’imagination ? Que nous invitent elles à désinvestir… et réinvestir ?

Après ma résidence, mai 2025 :

À l’issue de ces deux semaines de recherche en sérigraphie, j’ai pu confirmer le résultat de mes tests imprimés en quadrichromie, et trouver la bonne trame de traitement des images. Celle-ci permet de conserver un effet de flou satisfaisant pour la picturalité des visuels. J’ai commencé à m’extraire de la synthèse de couleurs de base propre à la quadrichromie (Cyan Magenta Jaune et Noir), pour varier les teintes (remplacer le jaune par un vert pomme frais, raviver le magenta, changer la densité d’impression…)

La question de la fidélité aux images initiales se pose alors.
Changer l’ordre d’impression des couleurs garantit parfois une correspondance plus évidente à la colorimétrie de la capture d’écran. Tandis que les ajustements de teintes vont créer des identités différentes pour chaque multiple de l’image. Ces tests couleurs, de manière étonnante, renforcent souvent le lien aux images numériques en rappelant leur luminosité à l’écran.

Déployer dans l’espace de l’atelier une sélection de ma bibliothèque de captures d’images m’a permis de faire des ponts entre certaines, que ce soit pour les couleurs à créer, ou dans les thématiques sous-jacentes. Je réfléchis à incorporer à quelques impressions futures, des bribes de texte énigmatiques présents dans les captures.

Pour la suite, j’aimerais poursuivre en très grands formats, et continuer la recherche avec des techniques de sérigraphie complémentaires à la quadrichromie. Certaines images peuvent notamment s’imprimer en fontaine de couleurs (dégradé en un passage) ou en monotype, ce qui approfondirait la réflexion sur les traductions manuelles de ces images numériques.