L’écriture, système de codage, mobilise des unités de sens qui permettent d’enregistrer et de fixer sur un support un contenu de manière à le révéler à travers sa lecture.
Ce système, technique d’extériorisation de la pensée, se voit transformé depuis l’arrivée des nouveaux dispositifs numériques : ses symboles en deviennent transformés et exécutables. Lors du passage vers l’écriture numérique, les contraintes techniques de la machine obligent nos textes à s’abstraire du sens pour passer en langage machine ; l’interprétation est pensée pour une manipulation purement mécanique. Ces systèmes encodent le signe pour le simplifier et compressent le message. Nos lettres se vident de leur sens et se retrouvent cryptées
entre des 0 et des 1. Ainsi ôtées de toute signification et démunies de leur sémantisation, leur numérisation les rendent manipulables automatiquement à travers l’architecture de ces machines.
Ces codes, toujours plus éloignés de la structure de nos langages, où le numérique n’existe et n’est opératoire que pour et par lui, condamnent l’humain à toute possibilité de lecture. Il n’intervient plus dans le processus de décodage de ces symboles et lègue à ces machines interconnectées la gestion de ces informations.
Projet : pour rendre compte de ce constat sur l’écriture numérique, il est proposé de placer le spectateur/lecteur face à des formes où le sens semble perdu. Il se retrouve dans une transition entre deux états, un moment charnière où l’écriture n’a pas encore repris son sens ou en attente de le retrouver. Ces dispositifs proposent un questionnement à la fois sur la lecture d’une image (esthétique machinique) et sur la lecture de l’alphabet (camouflage des formes des lettres), bousculant les règles de ce qui est lisible par l’humain ou par la machine. Le projet tente également de parler de la perte de repères dans ce monde du tout numérique. Ces propositions tentent de trouver des formes qui questionnent cette hybridation.
Une série de typographies du nom de « Cipher » dont le point de départ est la déconstruction et la reconstruction du binaire, est représentée par le carré comme forme élémentaire. Elle tente de questionner les transformations liées aux textes, d’explorer le quantum de la lettre (et le signe) et de venir trouver des moyens artificiels pour brouiller le message. Le lecteur se trouve placé dans une situation de reconstruction de l’écrit et dans une lecture active de décodage.
Après ma résidence, août 2020 :
Afin d’explorer ces questions de lecture et de perte de repères dans notre monde du tout numérique, le projet « Le temps du signe » propose une série de typographies du nom de « Cipher ». Ce travail de recherche propose au lecteur des formes qui restent dans une latence sémantique : il doit faire une expérience active de lecture pour retrouver le sens. Ce signifiant perturbé nous amène à décoder le message qui nous est adressé en forçant notre corps à agir dans notre processus de lecture. Nous devons passer par un acte de déchiffrage et d’apprentissage de ces formes pour pouvoir les lire et reprendre conscience de ce qu’on a sous les yeux : des lettres / des mots / un texte.
Ce projet de design typographique tente de questionner cette nouvelle écriture et propose de positionner le spectateur/lecteur face à des formes où le sens semble perdu. Ces formes le laissent ainsi dans un paradoxe graphique : des symboles coincés dans une latence sémiologique. Pour cette résidence, j’ai poursuivi le design de nouvelles formes typographiques en travaillant de manière multicouche. J’ai également profité de cette résidence pour explorer de nouveaux dispositifs pour mettre en scène ces écriture et continuer de questionner la place du spectateur dans l’espace.