Espace et temps, la nuit l’est tout ensemble. Certains l’assimilent à une frontière, voire à une dernière frontière à conquérir. Quelle place occupe-t-elle dans notre façon de percevoir le paysage ? Et comment représenter celle qui a toujours fasciné les artistes et effrayés bien des êtres humains ? Envoûtante et ambigüe, irréductible aux conventions de la représentation, vers où la nuit emmène-t-elle le paysage et nos regards ?
La nuit a une grande affinité avec le songe, la vision, la veille et l’introspection. C’est un phénomène de la nature des plus importants. Ce contact avec la nature, permis par la nuit noire, est constitutif de l’être. Il forge les questionnements propres à l’humain, mais nourrit aussi ses peurs et son imagination dès le plus jeune âge. La nuit opère d’innombrables métamorphoses et crée une perception altérée du paysage : une épure presque abstraite. C’est aussi l’univers intérieur du regardeur que la nuit tutoie, notre propre nuit intérieure avec ses rêves, ses craintes et ses émerveillements. La nuit ce n’est pas simplement le noir, c’est une chose qui nous transforme autant que notre façon d’agir et de percevoir, et qui remet en cause nos acquis culturels autant que notre perception visuelle.
Mon projet s’articulera autour de la représentation du paysage nocturne sur le territoire de la ville de Pau et la réalisation de portraits d’habitantes et d’habitants. Les portraits occupent une place importante dans mes pensées depuis plusieurs semaines maintenant et c’est une grande joie qui me permet d’envisager de nouveaux horizons dans mon écriture photographique. Une autre manière de saisir le regard de manière émotive. C’est à travers une gravité, une mise en tension du regard que je base la réalisation de ces portraits. Il ne s’agit pas de précision dans le rendu, mais de rendre compte de la furtivité d’une présence, de l’évanescence d’une vision, d’une fugue du sensible, de tout ce qui peut toucher à la fragilité. Il était temps que la figure humaine apparaisse dans mon travail.
J’aborde cette nouvelle étape, essentielle, selon les mêmes principes formels qui président à ma façon de photographier le paysage : à fleur de peau, sensibles, réalisées durant le crépuscule, ces images dévoileront des êtres humains saisis dans leur fragilité et leur gravité. Cette approche inaugure de nouveaux horizons ainsi qu’une plus grande liberté dans mon travail. Voilà en quelques mots les raisons de ma venue au Bel Ordinaire.
Après ma résidence, mars 2024:
C'est le document ci-contre, Régis Feugère, retour de résidence