En octobre 2019, au volant de ma voiture, j’ai traversé les campagnes des Pyrénées-Atlantiques pour rejoindre les montagnes. Au détour des routes sinueuses bordées par des champs de cultures céréalières, j’ai rencontré de nombreux silos à grain. La vue de ces structures perchées sur leurs minces jambes rouillées m’est restée en souvenir et s’est présentée avec évidence comme point de départ de ce projet de résidence.

La collection, que j’aime utiliser dans mon travail, pourrait prendre ici la forme d’un recensement de ces architectures dans le paysage agricole. Fabriqués en métal il y a plusieurs dizaines d’années, certains silos affichent des cicatrices où la rouille demeure. De couleur brune, rouge, ocre, cette réaction chimique impacte la matière et la fragilise. Sa composition, son apparition et son évolution m’intéressent tout particulièrement. En complément de la recherche photographique, je souhaiterais donc travailler sur les différentes couleurs et textures de la rouille. Ces expérimentations prendront diverses formes et m’amèneront à utiliser le procédé sérigraphique et le volume. Ce temps de laboratoire me permettra de manipuler et d’analyser le principe d’oxydation et d’en tirer des pistes de réflexion afin d’alimenter ma démarche de création.

Vous trouverez deux photographies de silo réalisées en octobre à quelques kilomètres de Pau, et une carte où j’ai commencé à recenser les silos.

Après ma résidence, novembre 2020 :

J’ai mené mon enquête.

J’ai cartographié les silos à l’aide de street view pour organiser mes déplacements sur le territoire. J’ai quadrillé le périmètre, ils ne m’échapperont pas. J’ai photographié les silos en arpentant les routes du département, de manière très méthodique. Quelques-uns étaient occupés, j’y retournerai plus tard. J’ai prélevé par la photographie des textures de rouille présentes sur ces structures, ces éraflures du temps sont des indices, j’en suis sûr. J’ai oxydé des petites plaques de métal avec divers produits afin de récréer cette rouille, rien ne se fige, elles changent de jour en jour. J’ai acheté une boite à rythme au son très métallique, la musique électronique qui en sort est brutale et incisive, je ne suis pas sûr que ça ait réellement servi dans mon investigation, mais ça m’a diverti. J’ai détouré certains silos, les ai extrait de leur environnement, isolé dans l’obscurité en les teintant de blanc. Ils ont pris pendant un court instant l’apparence de capsule spatiale, fausse piste ? J’ai cherché à retrouver ces fameuses nuances colorées en imprimant machinalement les textures que j’avais prélevées, la sérigraphie fut mon allié. J’ai ajouté de l’orange, du rouge, parfois un peu de brun. J’ai ramassé un épi de maïs qui avait germé près d’un silo. En cultivant cette plante, j’en apprendrais peut-être plus sur ces structures qui servent à la conserver. J’ai rencontré un silo abandonné par ses agriculteurs, il a été très silencieux mais il m’a légué un morceau de lui-même afin que je puisse l’analyser. J’ai été voir les montagnes pour m’aérer l’esprit, on réfléchit toujours mieux ensuite.

Je suis retourné ensuite dans mon laboratoire. J’ai décidé de prendre le chemin inverse, ne faudrait-il pas prendre du métal déjà oxydé et venir le gratter, le poncer, le rayer et voir ce qu’il y a dessous ? Si je sérigraphie un silo sur du métal, que je fais ensuite oxyder cette même plaque de métal en y apposant une feuille préalablement humidifiée, obtiendrais-je un silo rouillé ? Et si je remplissais un jerrican de 20L en eau de pluie, que je faisais tomber une goutte d’eau toute les 10 secondes sur une petite plaque de métal qui elle, est dépourvue de rouille mais qui présente les mêmes caractéristiques physiques que le métal du silo ? Ou alors devrais-je peut-être recouvrir une photographie de silo par du maïs qui a préalablement trempé plusieurs heures dans un bain d’eau et d’oxyde de fer ?

Les feuilles sont déjà tombées, elles se décomposent lentement sur le sol humide. Le froid se fait sentir dans le laboratoire, j’ai dû oublier de payer la facture de gaz. Il est peut-être temps de rentrer de toute façon. J’y reviendrais plus tard, quand les bourgeons de maïs auront éclos.