Cueillir et étaler, identifier et découvrir, plier-repasser, dehors-dedans, éloigner-rapprocher, aléa et géométrie, accidentel et construction, broyer-prendre soin, naturelle-chimie, tremper-faire sécher, essorer-étendre, faire disparaitre et révéler, découper et rassembler, impliquer et expliquer.
Il s’agit, dans un premier temps de prendre soin de ce qui existe, — récits et gestes — de la terre. À partir de cette pensée, je propose une recherche autour des plantes et notamment de leurs vertus tinctoriales.
La technique de la teinture naturelle est un procédé ancestral de teinture à partir d’éléments issus de la nature, comme des racines, des plantes, des rameaux ou des feuilles. Cette technique fait appel à des savoirs pratiques liés au soin ; cueillir, couper des végétaux et les faire bouillir, laver du linge, l’étendre et le repasser. Autant de gestes simples du quotidien, pourtant si satisfaisants à réaliser lorsqu’ils sont valorisés. Teindre à partir de végétaux, c’est déjà raconter une histoire d’un territoire.
En ces temps confus ¹ , il me semble important de questionner notre rapport à la nature, au climat, et à la production. Il m’apparaît évident de mener une réflexion autour d’une pratique artistique dite écologique en lien direct avec le territoire. Je travaillerai des impressions sérigraphiques à partir de mordants (mélanges naturels permettant à la teinture de prendre sur le tissu). Ces impressions grands formats prennent place dans le paysage, se jouent de formes, de compositions dans lesquelles une narration s’installe. Impressions transparentes révélées par les plantes tinctoriales : faire apparaître l’invisible, faire cohabiter les formes comme nous co-habitons avec le paysage. Comme une enquête sur les relations interdépendantes entre formes de vies humaines et non‐humaines, sur le visible et à l’invisible, je mènerai en parallèle un travail photographique, glanerai des images issues de promenades et de rencontres, en tentant de donner forme à l’informe, à ce qui échappe. Traces de gestes, rituels, ou
natures mortes à travers lesquelles le paysage se déploie.

Les impressions révélées par la teintures végétales côtoient les photographies et permettent de s’attacher au territoire, de prendre à contre‐pied la posture négative de la question de l’effondrement. J’imagine plutôt les possibilités infinies qui en découlent : comment repenser nos pratiques, notre rapport à l’autre et à la nature ?
¹ Donna J. Haraway, Vivre avec le trouble, Vaulx‐en‐Velin, in éditions des mondes à faire, trad. Vivien Garcia, 2016

Après ma résidence, mai 2024
En courant le long du ruisseau de Lasbourries, je longe une maison dont la clôture a été tressée sur toute la longueur. La dame est là. Je lui demande si elle sait de quel bois cette clôture est faite.
« - Quand j’étais petite on choisissait souvent de l’acacia pour le plessage et les piquets : souple et dur au séchage. Mais celle-là est certainement nouée de plusieurs bois ». Elle fait une pause en remontant les yeux vers le haut comme pour se souvenir.
« - On se fabriquait de petits tabourets aussi pour se reposer entre deux piquets ». Je l’interroge sur l’origine du nom Robinier Faux-acacia et sur sa qualification d’invasif. Elle penche la tête légèrement en arrière en riant du fait qu’on ose désigner un arbre avec ce terme alors qu’on en est responsable. Puis, elle continue.
« - Je les aime bien moi, sauf leurs épines. À la fin des journées de plessage on avait les bras rayés. D’ailleurs, en y pensant, c’est drôle d’utiliser un arbre invasif pour faire des clôtures. C’est comme si on voulait l’enfermer sur lui même ». L’enfermer sur lui-même.

Pendant ces deux semaines au Bel Ordinaire j’ai exploré les environs à la recherche de plantes tinctoriales le long de chemins de randonnée que j’arpentais. J’interrogeais les promeneur·euses sur leur rapport à ces plantes. Rapidement, je me suis rendue compte que les tests que j’effectuais portaient tous sur des teintures à partir de plantes dites invasives, envahissantes. Les adventices. Je me suis penchée sur l’extraction de leurs couleurs, voulant ainsi leur rendre la part belle et aller à l’encontre de l’image négative qu’elles véhiculaient chez nous. En parallèle, j’explorais leurs histoires, leur importation sur le territoire pour certaines, l’étymologie de leur nom. Bâton du diable, faux-acacia, arbre à papillon, ronces, ailante. Certaines histoires m’ont interpellées, notamment l’histoire de cette dame et du plessage en acacia. À partir de là, j’ai testé des assemblages en bois d’acacia, et réalisé des motifs à partir de ces formes de croisement de clôtures. Ces formes, ces textes ont donné lieux à des impressions aux mordants révélés par les couleurs de ces plantes invasives.