À la marge des rayures
Mes terrains de recherche explorent des enjeux sociaux et politiques de communautés marginalisées : qu’ils soulèvent l’indépendance d’une vie insulaire ou la cohésion d’une vie collective, j’aborde la notion d’héritage de ces récits collectifs par une transmission de vivant à vivant, une quête de résidus afin d’interroger ce qu’il reste de nos expériences.
La résidence au Bel Ordinaire me permettra d’investir le dernier volet d’un triptyque sur le hockey-sur-glace, en me concentrant cette fois-ci sur la figure de l’arbitre. En duo sur la glace, vêtu.e.s d’un maillot rayé, ils.elles parcourent la patinoire à la recherche de la faute. Ils.elles surveillent, jugent et actionnent les pénalités. Leurs rayures s’activent, le corps prend position, le textile se fige en une superposition de lignes noires et blanches. L’arbitre peut arborer 26 postures différentes pour envoyer un.e joueur.euse en prison.
La rayure sera donc le centre de ma réflexion en résidence. Que se passe-t-il entre les marges des ondulations ? Quelle chorégraphie se met en place ? Quelle puissance est donnée à ces êtres en marge ?
Je souhaite créer un parallèle entre le corps-outil qui se déplace sur une surface vierge et les déplacements de ces acteur.ice.s sur un ovale blanc. Les patins accrochent, incisent, glissent avec fluidité sur la glace puis se soulèvent ; mon pinceau, lui, se dépose, trace des lignes pleines et déliées s’approchant d’une forme calligraphique.
Des feuilles de match, documents officiels servant à inscrire chaque action du jeu notifiée par les arbitres, deviendront une des matières premières de ma recherche : déchirés et mixés, ils passeront de rebuts à pulpe de papier, pour investir les marges des rayures. Une série d’outils, prolongement de la main, seront élaborés pour imiter, ressentir l’intensité et l’instinctivité des glissements sur la glace. Ces partitions de gestes répétés se transformeront en une écriture codifiée.
Lier des pratiques rigoureuses et instinctives, répéter un geste et se laisser surprendre, œuvrer sur les marges qui déterminent les possibles pour amener l’art et l’acte sportif à se rejoindre sur l’épaisseur de l’expérience.
Épilogue, septembre 2024 : ce temps de recherches m’a amené à explorer une série de mouvements, du geste chorégraphique au fondement de la graphie - la ligne noire et blanche - dans l’épaisseur des marges et des situations.
À force d’abstraire ces lignes, les multiplier, les épaissir, les répertorier, elles se sont déplacées dans le champ de l’ordinaire : à quel moment sommes nous légitimes d’arbitrer une situation ? De quel rôle devons nous nous parer pour intervenir ? Patronner, protéger, prendre soin, régir les règles et faire naître le libre-arbitre.
Les rayures se sont alors fabriquées en contrastes stricts, sans compromis possible face aux règles, par l’encre de Chine ; puis floutées, ondulées, nébuleuses et vivantes sous la pulpe de papier, elles ont tissé une surface sociale relatant les pensées, les tensions et les actions d’un être en vibration.
Nourrie de ce temps d’atelier et des échanges précieux qui y sont nés, des voies d’exploration ainsi qu’un vocabulaire formel et technique sont prêts à résonner au-delà des Pyrénées.