La résidence au Bel Ordinaire sera l’occasion d’amorcer l’écriture d’un petit essai dans lequel j’aimerais explorer les liens entre déchets industriels et objets patrimoniaux, à partir d’une expérience personnelle de collecte de morceaux de verre et de restes de creusets partiellement broyés et déversés aux abords de la verrerie de Gœtzenbruck. On les retrouve éparpillés sur les sentiers forestiers et dans le lit des rivières. Parfois trésors, pépites et merveilleuses surprises, selon les âges et les tempéraments des collecteurs, ces déchets sont les traces tangibles d’une histoire qui ne se raconte pas. Ce rapport entre l’objet, le statut qu’on lui accorde et les pouvoirs qu’on lui attribue m’a toujours questionnée.
Au-delà de l'écriture, c'est par l’illustration que j’aimerais porter l’attention sur ces morceaux d’anciens creusets aux formes curieuses et aux couleurs singulières. Moins reconnaissables que le verre, la pierre qui semble émaillée pourrait très bien s’apparenter aux yeux d’un novice à un autre type de déchet moins noble, le remblai composite : tuile, carrelage, plâtre, brique…
Ces artefacts verriers sont partout encore visibles là où les hommes les ont déversés. Les endroits stratégiques, facilement praticables et non cultivables seront les principales zones identifiées. Celles qui, maintenant encore, 60 ans après la dernière production du verre à Gœtzenbruck, font remonter à leur surface ces nouveaux éléments qui intègrent alors le paysage. Dans une région à la topographie proche de la petite montagne, la verrerie trône au cœur du village et les versants nord-est ou sud-ouest se prêtent parfaitement et sans trop d’efforts au déversement. On les nomme le « Scherrberri » (le mont des débris) et le « Kiehdiahl » (la vallée des vaches). Ainsi, c’est par la construction d’un ensemble de collages photographiques que je souhaite donner à voir l’important dénivelé, partant de la verrerie jusqu’au point le plus bas de la vallée, suivant le cours d’eau qui la creuse.
Après ma résidence, août 2024
L’idée est de documenter une année de collecte de ces morceaux de creuset sous la forme d’un carnet de bord, dans lequel je décris autant les impressions laissées par les balades - collectes que des descriptions détaillées des lieux, des morceaux et de leur histoire. La compilation des écrits, dessins et photographies réalisés au cours de cette année de collecte constituera l’aboutissement de ce projet. Le séjour de recherche au Bel Ordinaire m’a permis d’écrire la première entrée de ce carnet de collecte ; elle raconte le commencement d’une pratique, motivée par une envie toujours plus forte de retourner inlassablement sur les mêmes lieux et de dénicher à chaque fois de nouveaux trésors.
Carnet de collecte - Entrée 1
Ramasser le trésor à même le sol, le dépoussiérer rapidement, le plonger dans le creux de la poche et poursuivre la marche. Opérer plusieurs contrôles brefs du bout des doigts et sentir qu’il s'y trouve encore, accélérer le pas...Passer délicatement le morceau sous un filet d'eau, le nettoyer minutieusement, le déposer quelque part, dedans ou dehors, pour un temps ou pour toujours. Attendre la prochaine collecte, projeter un itinéraire, se mettre en marche. Glisser les mains dans les poches et toucher les grains de sable laissés par la précédente trouvaille, retourner les poches pour les vider, se pencher, ramasser le trésor à même le sol...