Lors de mon séjour de recherche au Bel Ordinaire, je souhaite poursuivre mes expérimentations autour du projet l’étrange envers des rêves. Ce projet s’inscrit dans une réflexion sur les images, leur rapport au texte et au processus de création. Je propose de penser le rêve comme un espace de résistance en contrepoint de la production de ces nouvelles images générées par l’intelligence artificielle. Mes recherches croisent les champs de l’art, de la psychanalyse, de la littérature et de l’histoire des techniques.

Mes questionnements sur le processus de création sont guidés par le livre Création et schizophrénie de Jean Oury. Il évoque une « dimension pré-représentative » de la création, cette dimension que je tente d’approcher. Il cite La Fabrique du Pré de Francis Ponge qui donne à voir les différentes étapes de l’écriture, qui amène de « l’ouvert », quelque chose sans cesse au travail, en mouvement.

Lors de cette résidence, je souhaite développer mes pistes de travail autour de la mise en forme du processus de recherche lui-même. Comment donner à voir ce processus de création ? Comment faire se rencontrer images, textes, paroles, schémas, matériaux sonores, objets ? Comment articuler des éléments collectés aux matérialités variées ? Comment montrer les errances, les détours, les constructions précaires de ce qui cherche à se matérialiser ? Je poursuivrai cette collecte en explorant les ressources de la bibliothèque du Bel Ordinaire. À partir de cette collecte, je vais poursuivre la réalisation de cartes mentales, de schémas, de tables de travail, ainsi que la mise en espace d’un corpus iconographique.

J’envisage de travailler en sérigraphie pour certains des éléments produits. Il s’agira de réfléchir aussi à la manière d’activer ces propositions sous forme performative. Je souhaiterais également travailler à la conception d’un questionnaire autour des rêves et du processus créatif.

Après mon séjour de recherche, septembre 2025 :
Ce temps de résidence m’a permis de mettre en forme des pistes de recherche autour du projet l’étrange envers des rêves. J’ai notamment produit des « cartes » de deux types:

Un jeu d’une centaine de petites cartes bristol où sont inscrits des mots, des fragments, des associations de mots ou de verbes qui ont un lien avec le processus de création et/ou le processus du rêve. Les mots sont inscrits lettre à lettre par la technique artisanale et désuète de la lettre transfert. J’ai choisi de mettre en valeur l’aspect imparfait, les erreurs et les aléas inhérents à cette technique. Cette pièce, encore en devenir, n’a pas de forme fixe de présentation, le jeu de cartes permet d’imaginer de multiples combinaisons et possibles dispositifs de monstration. Ce jeu pourrait être activé sous la forme de performance qui engagerait une lecture aléatoire des cartes par tirage par exemple. C’est un champ encore à explorer. Et je ne pense pas avoir fini la réalisation des cartes.

Les autres cartes produites sont des cartes mentales à grande échelle. Réalisées sur le dos de grandes affiches enduites d’une peinture noire imitant le tableau ardoise, je viens y écrire à la craie blanche. Lors de la résidence j’en ai réalisé trois. C’est une nouvelle forme que j’ai pu expérimenter au Bel Ordinaire du fait notamment de l’espace de l’atelier qui permettait de réaliser de grands formats. Je souhaite poursuivre cette piste de travail, j’ai pris beaucoup de plaisir à la réalisation de ces très grandes cartes. Cela m’a donné envie d’imaginer ce travail in-situ, de travailler à même les murs. Je me demande aussi comment ces cartes pourraient être l’outil, le support de performances qui activeraient les textes enchevêtrés contenus dans ces cartes. En effet leur forme peut prêter à de multiples jeux et sens de lectures.

Le séjour au BO m’a permis également de faire des tests avec des lettres adhésives inscrites dans l’espace (mur, sol) où j’ai travaillé le ton sur ton (blanc sur blanc, noir sur noir) avec des phrases très courtes. C’est aussi une piste à poursuivre comme intervention in-situ. J’ai aussi profité des ressources documentaires du BO en faisant des recherches iconographiques et théoriques. Je me suis notamment appuyée sur les œuvres de Fernand Deligny pour la réalisation d’une des grandes cartes mentales, j’ai pu aussi trouver l’histoire des lettres transferts et arpenter une brève histoire des lignes de Tim Ingold qui parle de la ligne, à la fois dessin et écriture.

Je n’ai pas pu, comme je l’annonçais dans ma note d’intention, travailler à un questionnaire sur les rêves, mais j’ai entamé des échanges avec les artistes résidents sur cette question. Cela m’a permis d’avancer sur ce que j’imaginais à ce sujet. Aussi j’ai mis de côté la partie « image » du projet, je me suis vraiment concentrée sur la partie texte. Je pensais avoir le temps d’expérimenter des choses en sérigraphie mais le temps de résidence était trop court pour se lancer dans ce travail.

Ce temps de recherche et de production a été particulièrement précieux. Le cadre de la résidence m’a permis de me consacrer pleinement à l’avancée concrète et matérielle de ce projet en germe depuis 2024. J’espère avoir la possibilité de revenir pour un séjour un peu plus long qui me permettrait d’avoir le temps d’expérimenter avec les images et de poursuivre la partie texte et son activation sous forme performative.