Ma recherche questionne les notions de productivité et d’utilité, notamment dans leur application aux images et au temps. Je porte une attention particulière aux images  pauvres , au temps dit  perdu , au banal.
Dans ma pratique, qu'elle soit graphique ou plastique, je manipule des images et des textes ; je les assemble, les taille et les travaille pour chercher la forme qui me paraîtra la plus juste et, ce faisant, je les évalue en permanence, selon des critères variés et fluctuants. La prise de conscience de ce mouvement de jugement perpétuel m’a conduite à questionner les contextes et les critères d’évaluation, ainsi que ce qu’ils disent de nos sociétés : comment décide-t-on collectivement quelles images méritent d’être montrées, quelles histoires méritent d’être racontées ? Qu’est-ce qu’une photo ratée, une affiche inutile ? En portant mon regard sur des objets et moments dévalués, j’interroge le statut des images mais aussi les formes de récit, les manières de faire et de dire qui construisent des discours socialement structurants.

La résidence sera l’occasion de poursuivre mes recherches en me penchant sur une collection personnelle faite de photos-notes sauvegardées au fil des années. Ce sont des photographies pleinement utilitaires (horaires de train, recettes de cuisine, itinéraires) qui, conservées après leur date de péremption, ne servent plus aucun objectif.
Il s’agira donc de travailler cette matière à la fois visuelle et temporelle, d’inventer des protocoles, de trier, classer, raconter ; de parler de, sur et avec les images, d’écrire et de continuer à questionner nos rapports à l’(in)utile et l’(in)efficace par une "expérimentation peu raisonnable, mais exigeante, d’une réalité sans intérêt, mais problématique". 

Après ma résidence, juillet 2022:
Je suis arrivée au BO sans trop savoir ce que j’allais y faire. J’avais mes images comme point de départ, deux livres (Drifts de Kate Zambreno et le Journal de Kafka), mon ordinateur et quelques fournitures de base pour dessiner. Les dix jours à venir me semblaient un temps à la fois très long et très court ; j’avais un peu peur de me perdre — de perdre du temps en hésitations — et d’avoir du mal à occuper cet atelier plus grand que mon appartement parisien.
J’ai écrit des mots sur des post-it pour y voir plus clair, des fragments de textes dans un carnet. Il a fallu que j’imprime mes images utiles-inutiles pour me rendre compte que je ne voulais pas les montrer directement mais plutôt en garder une empreinte, comme une ombre, pour marquer — noter, observer — le passage du temps sans nostalgie ni sacralisation. Elles ont alors servi de base au dessin, à la modélisation de formes et au récit.
Je repars avec des fragments d’animations vidéo, des morceaux de textes, des envies d’installation et de nouveaux chemins à explorer.