Candélou, Tracine, Trassin, Stère, Candelo, Candela dera gleysa, Trens, Traci, Candele de plec, Tran, Trougle, Parilla, Eskoua, Eskuargizarie, Gumet, Torcle… Du pays Basque aux vallées nord-pyrénéennes, les cires de deuil ont connu de nombreuses appelations et rituels funéraires tombés en désuétude dans la deuxième moitié du XXe siècle. Couronnes, spirales, pavés, cerceaux, tresses, gerbes, bobines, cones, rouleaux… Entourées de rubans, posées au sol, sur une chaise, sur un linge blanc ou sur un petit tapis de drap noir brodé, nichées dans des paniers en osier ou au fond de sacs noirs, glissées autour du bras ou de la main, les cires filées accompagnaient communément les enterrements. Les rites et traditions qui les entourent se muent délicatement au gré des vallées. Allumées ensuite chaque dimanche et lors de cérémonies religieuses par les « perdantes » (l’entourage du défunt), elles symbolisent la présence des morts, leur protection. Les croyances leur prêtent aussi des propriétés de prédiction et de guérison des maladies. Leurs origines se retrouvent dans plusieurs pays d’Europe (Espagne, Portugal, Suisse, Yougoslavie, Grèce…) et remonteraient au Moyen-Âge. Elles sont alors utilisées en temps de guerre ou d’épidémie pour protéger la ville.

Je découvre cet artisanat perdu dans les collections du Musée Pyrénéen de Lourdes, au printemps 2020. Quelques cires filées présentées sur une table accrochent mon attention. Elles dénotent du reste des objets ; leurs formes variées, parfois extravagantes, ont quelque chose de très moderne. À la lecture du cartel qui les précède, je découvre qu’elles accompagnent les morts et protègent des épidémies. La référence, qui lue quelques mois plus tôt eut été ignorée, me secoue. Nous sommes alors au début de la pandémie, la stupeur et la panique omniprésentes. Les malades isolés meurent seuls. La crise sanitaire déshumanise notre quotidien et érige les écrans comme solution miracle tout-en-un.

Le projet que je souhaite développer durant cette résidence tend à interroger et revendiquer la place du local et du spirituel au temps de la pandémie actuelle. Il s’agira d’apprivoiser ce riche artisanat et de le penser dans une forme sculpturale nouvelle, de grande taille. Un travail typographique viendra habiller la cire d’abeille filée, ainsi que la structure en bois. À l’issue de la production, la sculpture pourra être activée en des temps et des lieux pluriels. Le cérémoniel entourant l’embrasement et le délitement de cette cire de deuil géante proposera ainsi des instants de contemplation et de recueillement collectifs.

Après ma résidence, juin 2021 :

Cette première résidence sur les cires de deuil a été un temps de recherche très riche qui a beaucoup secoué mes intentions de production. J’ai eu le plaisir de rencontrer Sœur Françoise à la ciergerie des Bénédictines, qui est la dernière artisane à perpétuer le savoir-faire traditionnel de la cire filée. Très tôt dans nos échanges, la complexité de la technique et les caprices de la cire ont mis à mal mon intention de réaliser une cire filée d’un diamètre très large pour réaliser une sculpture.

L’un des outils utilisés par Sœur Françoise est une filière en cuivre, percée d’une trentaine de trous dont le diamètre s’agrandit régulièrement. Le fil de coton imbibé de cire passe ainsi dans le trou le plus étroit, ce qui uniformise son diamètre et dépose l’excédent de cire dans la cuve chaude. Ce même fil retourne ensuite dans la cire et passe dans le trou suivant, légèrement plus large. Ce procédé est réitéré durant des heures jusqu’à obtenir un fil d’environ huit millimètres de diamètre. Sœur Françoise en fait parfois plus de cent mètres pour des demandes particulières (dont notamment la Rodella de Montbolo).

En souhaitant reproduire cet outil dans les ateliers du Bel Ordinaire, et novice en métal, je me suis quelque peu égarée sur l’utilisation de la meuleuse. On peut obtenir des aplats de textures qui vibrent et dansent merveilleusement bien à la lumière. La filière n’a certes pas marché à l’usage, mais les reflets métalliques à la bougie sont prometteurs pour d’autres productions. Je savais d’après mes lectures que les vanneries, sacs en toile, tapis, draps, rubans et certains vêtements accompagnaient ces bougies dans les cérémonies religieuses, mais c’est aux archives du Musée de Bayonne que j’ai découvert l’usage de napperons dans le fond des paniers pour protéger la cire. Ayant déjà une petite somme de ces pièces textiles, j’ai complété ma collection localement à l’Emmaüs voisin. En cohabitant avec ces dentelles durant la résidence, l’idée m’est venue de pouvoir glisser et broder la cire dans le maillage lorsque des ouvertures le permettaient. J’avais jusqu’alors habilement ignoré l’éléphant dans la pièce ; la cire filée est un fil. J’envisage maintenant des pièces textiles qui seraient amenées à s’embraser en même temps que la cire se consumerait.