La chance qui m’est donnée d’occuper un atelier au Bel Ordinaire m’offre un contexte inédit, propice à questionner ma pratique des arts de la scène en tant que comédien et metteur en scène au regard de l’art contemporain et du design graphique. En effet, les résidences que j’ai effectué jusqu’alors ont toujours été collectives et ont été réalisées au sein de lieux spectaculaires. Cela me conduit à m’interroger sur ce que peut être le travail de l’acteur, de la mise en scène au quotidien hors production et en solitaire, sur d’éventuelles passerelles entre la mise en scène et le commissariat d’exposition. Faire du théâtre est-il possible dans ces conditions : seul et dans un espace d’atelier ? En quoi cela est-il susceptible de transformer ma vision et ma pratique du théâtre ? J’en profiterai aussi pour prendre le temps d’approfondir des recherches dramaturgiques et scénographiques liées aux activités de création de la compagnie des Limbes, pour revenir sur des projets laissés de côté. Enfin, grâce à la collaboration d’Ampli, le duo électro-littéraire « je ne sais quoi » dont je suis la voix bénéficiera d’un temps de recherche axé sur la composition d’un nouvel ensemble.
Des invitations à venir ouïr, voir, partager l’expérience en cours seront peut-être mises en œuvre, au gré de l’avancée de ces explorations, ces tâtonnements.
Après ma première résidence, mars 2019 :
Durant ma première résidence au Bel Ordinaire du 13 février au 29 mars 2019, j’ai effectué, dans l’atelier 3 qui m’était alloué, quelques tentatives d’ordre « plastique », en assemblant notamment des éléments glanés sur place : un pupitre en bois, des papiers de soie blancs, un ventilateur et des feuilles de paperboard installées sur un des murs par un. e prédécesseur. e.
En mettant en tension ces éléments, peu à peu s’est présentée une sorte de petite pièce de théâtre sans paroles ayant pour acteurs des feuilles de papier animées par le souffle du ventilateur. Une danse, un combat prenait place entre la feuille de papier de soie positionnée sur le pupitre face au mur – tel un texte à lire – et les feuilles de paperboard lui faisant face, tour à tour caressant, recouvrant puis immanquablement éjectant la fragile feuille de soie. Une petite pièce bruissante, tragi-comique, à laquelle j’ai essayé un temps d’associer diverses musiques mais aussi des parfums. J’ai présenté ce travail en cours lors de l’ouverture d’atelier de mars.
Puis, début mars, grâce au partenariat d’Ampli, du Bel Ordinaire et de la compagnie des Limbes, j’ai pu explorer durant 6 jours avec Kevin Malfait (compositeur, musicien) - avec qui je forme le duo « je ne sais quoi » - l’amorce de nouvelles compositions associant musiques et textes littéraires, poétiques ou philosophiques. Nous avons également travaillé à affiner la scénographie de ce concert électro littéraire grâce aux conseils précieux des techniciens du BO et avons offert dans le hall d’exposition du Bel Ordinaire un concert le 6 mars à 18h.
J’ai par la suite mis en place une soirée de programmation dans l’atelier 3 composée de 2 moments : la mise en voix et en musiques d’un ensemble de 108 haïkus intitulé « L’araignée s’étire », scandé par son auteur Vincent Faugère sur une musique originale composée et jouée par Caroline Attoume, et en deuxième partie un concert de Valentin Lepoutre aka « Habitant Fictif ». La « pièce » décrite plus haut composée de feuilles de papier de soie, de paperboard, pupitre et ventilateur était activée durant l’intégralité de cette soirée. Elle s’est déroulée le 26 mars 2019 dans l’atelier 3 et 4 réunis, réactivant ainsi quelque chose de la mémoire de ce lieu, et de ma mémoire de ce lieu, car, précédemment cet espace aujourd’hui segmenté en ateliers, était une grande scène dédiée aux arts vivants, scène sur laquelle j’avais joué et mis en scène plusieurs créations dans le cadre de la compagnie des Limbes, résidente alors au PCI (Pôle Culturel Intercommunal des anciens abattoirs de Billère).
Le pas de côté des arts de la scène vers les arts visuels amorcé pour moi lors de cette première résidence se poursuivra du 20 mai au 30 août par une nouvelle résidence au Bel Ordinaire durant laquelle devraient être jetées les bases d’un commissariat d’exposition prévu en 2022.
Après ma seconde résidence, septembre 2019 :
Durant ma seconde résidence au BO, j’ai continué d’habiter en « néo-plasticien » mon atelier et à laisser apparaître un monde bruissant et flottant. J’ai repris quelques jours le travail avec Kevin Malfait autour de nouvelles compositions pour notre duo électro littéraire je ne sais quoi et j’ai commencé à réfléchir à l’élaboration d’un commissariat d’exposition au Bel Ordinaire, prévue entre mars et mai 2022.
J’ai cherché à prolonger la recherche entreprise lors de ma première résidence par l’adjonction de nouveaux éléments volatiles. En m’inspirant du travail de Zilvinas Kempinas, j’ai maintenu en suspension, à l’aide d’un ventilateur, des cercles de bandes magnétiques de différentes natures (VHS, audios). J’ai effectué différents usages de ces matériaux – m’intéressant notamment à leurs reflets, à leurs bruissements – et j’ai inclus ces nouveaux éléments dans la scénographie d’un concert de je ne sais quoi réalisé dans la métropole bordelaise en juin 2019.
J’ai été initié à la sérigraphie par Martha Dro et j’ai proposé le motif simple « vw » lié à Virginia Woolf dont j’ai mis en scène le poème dramatique Les Vagues en duo avec Loïc Varanguien de Villepin au sein de la compagnie des Limbes. vw initiales de Virgina Woolf qui parfois lui servaient de signature, répétées sur la page deviennent ondulations de vagues ou encore tissus d’un texte à venir, mailles.
Début août, le musicien Kevin Malfait m’a rejoint quelques jours dans l’optique de créer de nouvelles compositions pour notre duoje ne sais quoi. Parmi diverses tentatives, nous avons précisé, sans pour autant aboutir, la mise en voix et en musique du début deL’inouï du philosophe et sinologue François Jullien ou encore débuté la création d’un nouveau morceau à partir d’un texte du philosophe Günther Anders extrait de L’obsolescence de l’homme.
Enfin, j’ai eu la chance durant cette seconde résidence que me soit confié un commissariat d’exposition, prévu en 2022. Évoluant principalement dans le champ des arts de la scène en tant qu’interprète et metteur en scène, c’est du point de vue de mon activité de metteur en scène que j’entends concevoir pour la première fois une exposition. Je souhaiterais, à ce jour, mettre en regard les situations d’exposition et de spectacle, en repérer les paramètres spécifiques, en analyser les différences, afin de transformer partiellement la situation d’exposition en une situation assez proche d’une situation spectaculaire et ainsi créer un écart fécond entre elles deux. De part la nouvelle partition des espaces qui devrait être celle du Bel Ordinaire en 2022, la grande pièce de l’actuelle grande galerie serait l’unique espace dédié à cette exposition. Cette donnée renforce l’éventuelle pertinence du questionnement dont je tente de faire ici état, en ce que j’entends rapprocher l’espace d’exposition d’une scène. Un seul et même lieu dans lequel les spectateurs/visiteurs seraient conviés à une succession dans le temps d’apparitions et de disparitions de pièces d’art contemporain : sonores, de lumières, d’images etc. . À ce jour, je n’imagine pas d’acteurs/performeurs dans cet espace.